Trois p’tits tours et pis s’en va
- Pauline Palassy
- 4 juin
- 11 min de lecture
Petit récit d'une aventure apprenante mais rude. Au jour de la rédaction de ce post, nous sommes en plein backslashs écologique et féministe, peut-être que la clôture de cette expérience est liée avec ces phénomènes de retour de bâton ? En tout cas, maintenant que je ne vis plus dans cette ferme, je peux dire que tous les vivants qui la composent me manquent. Beaucoup.

Je suis venue m'installer, femme, seule, presque néorurale, et néopaysanne, en Charente. Un département dans lequel je ne connais qu’une personne, assez proche, appelons-le l’Escargot. Il est paysan en polyculture élevage en bio. Pour moi, il est un "point de sécurité" sur ce territoire, une personne en qui j'ai confiance et sur qui je sais compter quand j'en ai besoin. J’ai quitté le département limitrophe où je suis née et où j’ai une grande partie de mes amis. J’ai arrêté de vivre avec mes enfants (qui eux démarrent leurs vies d'adultes), j’ai vendu leur maison d’enfance. Je suis partie, pleine d’espoir. Construire l’expérimentation d’une vie différente, un style de vie qui ne pourrait être qu’attractif pour toustes. Enfin, c’est ce que je croyais …

J’ai une ferme. C’est elle qui m’a motivée à tout quitter ou presque. Une maison, une grange, un hangar agricole, 28 hectares de bois et de prairies, un étang. Une ferme qui a été abandonnée depuis plusieurs années. Tout à défricher, bâtiments à vider, tout à nettoyer, maison à rénover, projet à créer.
Les premières personnes du coin qui viennent me rencontrer sont les chasseurs (et une chasseuse aussi... vue une seule fois...). Je suis propriétaire d’une surface supérieure à 20 hectares, je dispose donc du droit de chasse. C’est moi qui décide si on chasse ou pas ici. Ils le savent. Mais ils essayent de me faire croire le contraire. Ils trouvent un vieux contrat passé avec l’ancien propriétaire 10 ans auparavant en m’affirmant qu’il leur donne le droit de chasser chez moi. Je ne marche pas dans leur tentative de manipulation. Ils sont là, souvent. Ils passent sans prévenir. Réclament ou m’offrent des présents : viande, alcool …harcèlement, …mais je tiens, je ne veux pas ! Je veux que la vie sauvage soit en paix ici. Peu à peu, ils l’acceptent, m’appellent quand ils chassent autour pour que je ne sois pas surprise au cas où des chiens traversent chez moi. J’arrive aussi à faire un peu de troc avec eux pour quelques travaux forestiers. Ils ne sont pas toujours complètement corrects mais je fais avec et je dis quand je ne suis pas contente. Malgré tout, c’est une situation flippante. Je suis seule au milieu de 28 hectares, isolée.
La deuxième personne que je rencontre est l’agriculteur qui va faire les foin chez moi. Appelons le Obélix. Obélix est éleveur de vaches à viande en bio. J’ai été mis en relation avec lui par le seul ami que j’ai ici, l’Escargot, lui aussi agriculteur en bio et qui vit à 15 minutes d’ici. La première fois que je contacte Obélix, je me présente, la première chose qu’il me demande est “s’il y a un monsieur” … je lui réponds que non, il rétorque “oh c’est dommage !!”. Là j’aurais déjà dû voir un red flag s’allumer dans ma tête et couper court à cette relation. Mais non, je suis naïve… Je lui confie les foins en échange de travaux au tracteur sur la ferme. Sur ce point là ça se passe bien. C’est équitable. Mais il commence à m’appeler en permanence “ma chérie, mon amour …”. Une fois, je m’absente de la ferme, et comme il est quotidiennement à côté, je lui demande s’il peut venir faire un tour voir si tout va bien. Chose qu’il fait.

A mon retour, je trouve une sculpture de bite (certes, créative) fièrement érigée sur ma table de jardin. Cela me fait peur, je pense à un nouveau moyen de pression des chasseurs. Et non, c’est une création d’Obélix. Je suis vraiment mal. Je lui fais remarquer que mon prénom est Pauline (et pas ma chérie ou autres surnoms à vocation d’objectivation ou de domination). Je lui dis que s’il ne change pas de comportement, les foins ici c’est terminé. Sa première réaction : “Si tu m'enlèves les foins, je vais pas être content”. Phrase dites en me regardant de haut avec un mouvement de menace physique … Menaces … Je cherche quelqu’un d’autre pour les foins. Mais la solidarité masculine règne ici. Si Obelix ne veut pas lâcher les foins, ils ne les prendront pas… Je lui laisse les foins. A partir de ce moment-là, il ne m’appellera toujours pas par mon prénom, mais “Patronne” … on reste dans le corpus des mots qui dévalorisent ou ridiculisent … Je passe des détails de cette relation mais la dernière fois que je lui ai demandé de l'aide pour sortir mon mini tracteur d’une ornière, quand il est arrivé avec son énorme tracteur, il en descend et me dit “Ha bin si j’avais su que j’allais te tirer un samedi !” …Humiliation … je ne lui ai plus jamais demandé d’aide. Et l’année dernière, les foins ne l’intéressaient pas, il m’a lâchée sans me prévenir assez tôt pour que je puisse trouver quelqu’un d’autre …
Parallèlement, pendant un an et demi, je gère deux maisons. Je gère des travaux dans les deux, je transfère mes affaires de l’une vers l'autre. Les enfants vivent partiellement ou totalement dans notre maison de Gironde. Je vis à moitié dans l’une, à moitié dans l’autre. Je passe beaucoup de temps à charger et décharger mon camion, soit pour apporter des choses à la ferme, soit pour apporter à la déchetterie les monceaux de merdes que j’extrais des bâtiments de la ferme. Je défriche, je redonne un visage plus digne à cette ferme longuement négligée.

Beaucoup d’amis urbains viennent m’aider ici (merci à vous toustes !!). Un an et demi d’agitation pour changer de vie. C’est étourdissant. Une fois cette période passée, un petit bout de la maison de la ferme est rénové, je peux m’y installer. Ma fille part faire des études à Pau. Mon fils a transféré ses affaires à la ferme. La maison de Gironde est vide. Elle met un peu de temps à être vendue. J’angoisse. Et finalement, des amis l’achètent, il l’appelleront “Le palais”. J’adore leur avoir transmis cette maison.

L’Escargot est un ami cher à mon cœur que je côtoie depuis 7 ans. Un ami avec qui la relation est ambiguë depuis longtemps. Nous sommes proches mais pas ensemble. Durant toute cette période, les relations avec lui deviennent de plus en plus bizarres et compliquées. Je crois qu’il me voyait comme une citadine rêveuse qui allait se planter. J’avais des projets qui lui faisaient envie. L’idée de faire de ce lieu quelque chose de collectif que lui n’a jamais réussi à faire dans sa ferme. Un jour il me dit que maintenant que j’ai cette ferme, nous ne pourrions plus travailler ensemble sur la sienne. Jamais il ne m’avait dit avant qu’il espérait ça … je tombe des nues …ça sonne comme un reproche. Bref, il trouve que je suis “une warrior”, j’avance dans mon projet… petit à petit il est de plus en plus irrespectueux, me ridiculise devant des gens, me fait tourner en bourrique. Jusqu’à ce que je finisse par couper les ponts, tellement je trouve que cette relation est toxique. Jamais je n’avais perçu ce visage chez lui avant d’avoir cette ferme. Tant que j’étais une nana de la ville qui ne se mesure pas à la rudesse de cette vie rurale et agricole, j’étais acceptable car pas en rivalité. Mais là, je sors des normes de la femme, je ne suis plus bienvenue comme ça… Histoire d’amitié intime et parfois ambiguë terminée !

J’entame cette nouvelle vie, en Charente sans ami proche, loin de mes enfants et de mes amis. Le premier hiver n’est pas simple. Les enfants me manquent. Le syndrome du nid vide se fait sentir. Le fait de ne plus avoir de personne sûre sur qui je sais compter (l’Escagot) m’angoisse. J’ai peur de me faire mal en entretenant cette ferme et ne n’avoir personne sur qui compter pour m’aider… Ce n’est pas la première fois que je vis à la campagne, que je dois défricher un lieu, que je me chauffe au bois, que je fais pousser des haricots… 25 ans auparavant, cette migration ville-campagne, je l’avais déjà faite, dans les Landes girondines. J'ai adoré cette simplicité de vie que nous avions choisie avec le père de mes enfants. Nous voulions vivre loin de ce monde déjà fou. Personne ne parlait d’autonomie, ni de sobriété heureuse. Mais clairement, c’est là que nous étions. Aujourd’hui, je parlerais de simplicité volontaire. A l’époque, j’étais déjà une femme, bien sur, mais mariée et, avec 2 enfants. L’intégration a été très facile dans cette configuration normative. En l'occurrence, c’est monsieur qui ne s’est pas adapté ni à la vie de famille, ni à cette vie à la campagne où il fallait couper du bois pour se chauffer, où il fallait faire de l’enduit à la chaux pour rénover nos murs… bref, faire des efforts. De mon côté, je m’étais étonnamment bien adaptée, mais le couple ayant vacillé puis explosé, ma vie s'est réorientée en ville ou à proximité pendant les 20 années suivantes…histoire d'assumer mes enfants que j'élèverai seule.
Mais ça y est, j’y étais. Je pouvais reprendre ce cap d’une vie simple agrémentée des principes de la permaculture, de l’envie de monter des projets collectifs sur ce lieu magique qu’est cette ferme. Malgré l’hiver difficile de cette première année, je règle mes difficultés au fur et à mesure qu’elles se présentent. Je commence à construire mon projet et à communiquer sur des chantiers participatifs pour le printemps. Même si cette communication n'attire personne pour les chantiers collectifs, elle me permet quand même de rencontrer des voisins. Voisins qui, eux aussi, sont dans une démarche d’autonomie et s’intéressent à la permaculture. Ils sont ravis de notre rencontre car ils se sentent bien isolés ici. Eux aussi sont installés par ici depuis l’automne. Il est pompier, elle est prof en collège. Ils viennent de Gironde. Sur le papier tout est parfait. Je me lie rapidement d’amitié avec aux … Naïveté quand tu nous tiens !!!!
Oui, naïve car je n’avais pas perçu à quel point leur vision des relations hommes-femmes était étriquée. Très rapidement, ils ont cherché à savoir si j’avais quelqu’un dans ma vie. Il se trouve que non. Ils me martelaient le fait qu’un de mes amis, parisien, B., qui vient souvent m’aider à la ferme est super sympa et qu’il serait un amoureux parfait pour moi. Mais non, je suis bien, seule. Ensuite, ils ont questionné ma sexualité. Forcément, si je suis une femme bien seule, je suis lesbienne. Ils ont fait des remarques sous-entendant que j’étais en couple avec ma meilleure amie qui venait souvent à la ferme… J’ai eu droit à des blagues sexistes, des moqueries parce que je m’intéressais à des sujets de mecs, comme les panneaux photovoltaïques. Jusqu’à la dernière fois que je les ai vus. Un jour de septembre, j’avais fait des mèches bleues dans mes cheveux gris. Et là, ils m’ont demandé pourquoi j’avais des cheveux bleus. J’explique que pour moi c’est le symbole d’une vie plus libre que je me construis. Libre d’avoir la couleur de cheveux que je veux sans que cela me pose de problèmes dans mon travail …

Réaction de monsieur : “Et Pussy, il est bleu aussi ?” Je rétorque : “Hein ? Quoi ? Mais c’est quoi cette question ? Ça ne te regarde pas !!” Réponse : “Je m’en fout, je demanderai à B. !”...
Ce fut le point final de cette relation.
Et le deuxième hiver à commencé. Enfin, un automne-hiver qui a duré 9 mois, d’octobre à mai suivant. De la pluie en continu. Impossible de réellement mettre un pied dehors. Enfermée au milieu d’une ferme pendant 8 mois. J’ai cogité, beaucoup...
En vrai, je ne suis pas restée enfermée en permanence. J’ai aussi fait de belles rencontres durant cette période : des femmes paysannes. J'avais rapidement intégré la Confédération paysanne à mon arrivée à la ferme. Nous avons lancé des groupes de rencontre entre femmes paysannes. J’ai ainsi pu prendre la mesure, dans le réel, de la condition des femmes dans l’agriculture. J’avais lu ou écouté déjà beaucoup de choses à ce propos, mais là, j’étais face à ces femmes courageuses. Femmes qui, au quotidien, faisaient face à ce que je vivais depuis mon arrivée à la ferme. Et pour beaucoup, depuis leur naissance lorsqu’elles étaient issues de familles d’agriculteurs. Des femmes associées à leur mari ou frères… paysans qui, souvent discutent de leur ferme avec d’autres hommes et pas avec leur associée femme. Des femmes qui sont des piliers non reconnues de ces fermes. Des hommes qui les écrasent sans en avoir aucunement conscience.

J’ai ensuite été intégrée dans le comité départemental de la Confédération paysanne. Organisation très à gauche qui tient aussi beaucoup grâce à l’engagement des paysannes. Il me semble que j’y ai été considérée plus comme une néorurale qu’une paysanne légitime. Je ne me suis pas sentie réellement intégrée ni à ma place. J’ai entendu des remarques (masculines) sur la nécessité pour moi de devoir choisir mon groupe social : soit néorurale (et écolo bobo), soit paysanne écolo-compatible. Ici encore je suis en marge. C’est vrai que certains néoruraux se comportent mal envers les agriculteurs.trices, et celà n’aide vraiment pas ! Pour ma part, je défends (et tente d’incarner) un modèle de production vivrière qui n’est pas forcément connecté à un modèle économique viable dans notre organisation économique actuelle. Je sens que je suis plus ouverte sur l’acceptation de modèles variés qui dérogent au modèle que la Conf défend (même si c’est le seul syndicat agricole qui a un discours cohérent entre la préservation du vivant et l’agriculture). Je ne dénigre pas les choix que font certains “écolos” de ne plus, ou moins, manger de viande par exemple. Et, je le dis … Je ne veux pas m’enfermer dans un modèle particulier. Je ne veux que prôner des pratiques qui respectent le vivant et qui permettent une adaptation aux bouleversements climatiques en cours ou à venir. Et même si je crois à l’impossibilité de maintenir un modèle agricole sans animaux, je ne veux pas dénigrer ceux qui souhaitent essayer autrement. Et je sens que ça dérange.
Et finalement, je ne me sens, tout simplement, pas à ma place ici.
Parallèlement à tout ça, Je me rends compte que la majorité des gens de mes cercles qui pourraient effectuer des changements de vie profonds et me rejoindre dans un projet collectif d’expérimentation d’une vie alternative ne le feront pas. Pour plein de raisons qui sont toutes très légitimes. Mais j'observe aussi, que les transformations que j'opère sur ma vie créent de la réactance. Moi qui me disais que si d'autres me voyaient faire, ils penseraient "si Pauline le fait, tout le monde peut le faire". Et bien, non, j'ai produit l'effet inverse ! Au lieu d'inspirer, j'ai participé à la sidération collective dans laquelle nous sommes toustes plus ou moins englué.e.s face à ce monde qui vrille totalement.
Alors, je vais repartir. Je vais quitter ces femmes paysannes extraordinaires et l’incroyable biodiversité de ce lieu ! Je décide de vendre cet endroit bien trop immense pour moi seule. Non, je ne repars pas en ville ! Mais vers un territoire qui me rapprochera de mes enfants, de mes amis et qui me semblera plus propice au développement d’expérimentations alternatives en coopération avec tous les acteurs du territoire.
Me voilà enrichie par cette expérience. Certes un peu amère d’avoir subi tant de sexisme et de rejet social par mon "anormalité". Mais j’ai tant appris ! Appris à détecter des situations qui peuvent s'avérer toxiques pour moi. Compris comment se défaire de la dépendance affective qui rend si vulnérable. Appris à vivre loin des commodités si accessibles en ville (médecins, lieux de sociabilisation, culture..). Appris à soigner un lieu comme celui-là. Expérimenté encore un peu plus une autre façon de vivre et de cultiver. Appris la technicité liée aux transformations alimentaires de ce que l’on produit soi-même. Appris à caler mon quotidien en fonction du temps qu’il fait et des priorités liées au travail avec le vivant. J’ai aimé vivre au milieu de tous ces vivants sauvages qui animent la vie quotidienne. J’ai aimé regarder et soigner les arbres qui produisent les fruits que je vais transformer ou dévorer sur pied. J’ai aimé ces merveilleux couchers de soleil différents chaque jour.
Bref, je me suis plantée dans mon choix de déploiement du changement de vie auquel j’aspire mais, quand on se plante, … on pousse !

Lors de cet aventure, j'ai tenu un mini blog si ça vous tente !!
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