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Mais que fais-tu dans cette ferme ? - Mes intentions


Voilà, c’est mon 1er anniversaire à la ferme. Journée étrange car c’est la première fois depuis vraiment longtemps, enfin, depuis toujours, que je suis seule ce jour-là.



Pourquoi ?

Parce que mon départ vers cette nouvelle vie dans ce nouveau lieu est concomitant avec le départ du nid de mes enfants avec qui je vivais au quotidien depuis 23 ans. Parce que ma famille proche n’est, soit plus de ce monde, soit loin, dans une ville. Parce que mes amis proches, eux-aussi, sont loin. Certains plus ou moins loin, en ville comme à la campagne. Parce qu’aujourd’hui, la ferme n’accueille pas encore ce à quoi elle est destinée et donc pas encore ceux qui lui feront prendre le chemin de cette destinée.

Alors, aujourd’hui, pas de bisous ou de câlins affectueux. Pas mal de messages et de coups de fils mais pas de démonstrations physiques affectives. Pas de liens tangibles dans la matière. C’est pas facile pour moi mais j’ai choisi cette situation.


Voilà, je suis là.

Dans cette ferme aussi impressionnante que magnifique. J’ai déjà avancé sur un certain nombre d’objectifs que je me suis fixés au moment où j’ai commencé à concevoir mon projet. Projet que je nomme : Les Chemins Résilients. Nom auquel j’ai décidé d’ajouter en sous-titre pour qu’il soit plus explicite “Adaptations & Régénérations”.


Les premiers objectifs de ma démarche ne dépendaient quasiment que de moi. Certains sont déjà atteints, d’autres en cours. Mais celui qui fera que cet endroit devrait voir des gens s'affairer, profiter, échanger, créer, rire, célébrer… n’est pas encore prêt à se déployer parce qu’il a une vocation collective. Et je crois, qu’un projet collectif, avec une coopération solide et pérenne ne peut aboutir que 1- lorsque les intentions sont très claires et partagées et 2- lorsque les actions à mettre en œuvre sont coconstruites et copartagées avec celleux qui feront ce collectif.


On dit que la personne source (ou le groupe source) d’un projet est celle qui invite à la réunion autour d’une raison d’être et qu’elle en est la gardienne. C’est à cela que je m’emploie depuis un bon bout de temps : éclaircir, formuler de façon limpide et compréhensible la raison d’être de ce projet en devenir.


Je vais essayer de commencer à partager ça avec vous.

Je suis d’abord obligée de partir d’un constat. Un constat que nombreux font depuis longtemps, moi y compris. Je ne vais pas le détailler mais, il est évident que sans ce constat là, ce projet n’aurait certainement pas lieu d’être, en tout cas sous cette forme. Alors, si mon projet vous a déjà interpellé d’une manière ou d’une autre, si vous sentez qu’il entre en résonance avec vous, c’est que probablement, même inconsciemment, vous partagez ce constat :


L’être humain (donc nous toustes) a tellement abîmé son milieu de vie (la planète et tout ce qui s’y trouve) et vidé de sens ses actions, que nous sommes aujourd’hui dans une situation de crise existentielle dans tous les sens du terme. Les autres populations vivantes animales ou végétales non domestiquées s’effondrent. Les conditions propices à la vie d’un grand nombre d’espèces, nous y compris, disparaissent petit à petit (un climat stable en fait partie). Le sens (au sens de direction et de signification) proposé par le paradigme de la majorité des sociétés humaines actuelles est : soit inaccessible par les humains les plus dominés par le reste de notre espèce, ce qui est profondément inégalitaire ; soit il rend malade une partie des gens (mal être et maltraitance au travail, maladies psychiques, chroniques, cancers …) ; soit il est rejeté consciemment ou inconsciemment ce qui produit des effets d’isolements sociaux d’individus ou de groupes. Bref, l’avenir devient imprévisible. Cet ensemble de constats engendre des risques socio-écologiques systémiques auxquels nous allons devoir faire face.

Comme je sais très bien que ce n’est ni moi, ni un petit collectif dans lequel je pourrai être incluse, qui va changer ou “sauver” le monde, j’ai déposé depuis pas mal de temps ce lourd sac à dos de la responsabilité de prendre en charge la totalité des conséquences du constat. Je ne veux plus “sauver le monde”. Oui, j’avoue que quelque part, ça m’a guidé un certain temps sans que ce soit réellement conscient, mais que ça m’a procuré surtout un grand sentiment d’impuissance et d’injustice. Mais, le jour où j’ai consciemment laissé tomber ça, j’ai enfin été libérée d’un énorme poids et j’ai pu commencer à avancer, à mon échelle, en tenant compte de mes besoins, et en essayant de penser à quelque chose qui pourrait être utile et qui serait à ma mesure.


Pourquoi cette ferme ?

L’idée est que ce lieu soit un écrin pour expérimenter et transmettre. Quoi ? Tout ce qui pourrait être pertinent pour nous adapter aux difficultés présentes et à venir et régénérer ce qui favorise l’épanouissement de la Vie. Cela implique, selon moi, d’expérimenter à diverses échelles de façon simultanée.


La dimension individuelle, en particulier l’intériorité, car je crois que nous ne pouvons en aucun cas faire advenir des changements profonds dans nos modes de vie, dans nos organisations collectives, dans nos rapports avec les autres vivants sans faire advenir de profonds changements en nous. Ce n’est pas l’un avant l’autre, mais l’un avec l’autre. Mais il faut être conscient et prêt à affronter ces bouleversements intérieurs que la confrontation avec nos limites, un réel parfois rude et les émotions associées, vont générer. Ensuite, il faudra apprendre à faire quelque chose de constructif avec ce monceau d’émotions que nous apprendrons à écouter et qui nous aideront à nous mettre en mouvement (le mot émotion est construit sur le latin emovere, à partir de ex et movere, soit hors de et mouvoir/susciter)*.


La dimension collective. Ou plus particulièrement, la coopération avec les autres. Alors que notre société de performance nous a éduqués dans la compétition et l'individualisme, réapprendre à coopérer les uns avec les autres ne va pas aller sans remous. D’autant plus dans un contexte probablement instable où les pressions du milieu (au sens écosystème) généreront un manque de sécurité, une stupéfaction et donc des peurs, qui pourraient nous porter vers des réflexes antagonistes à la coopération. C’est un travail de longue haleine qui s’annonce et qui sera quotidien.


La dimension territoriale, avec, la terre, la Terre et ses habitants, le territoire : ses besoins, ses habitudes, sa culture, etc. La question de la terre, entendez du sol, qui à elle seule est un enjeux crucial pour la Vie, vient impacter beaucoup de sujets : l’agriculture, nos besoins énergétiques, les modalités de transports, nos modes d’alimentation, nos relations avec les autres vivants, humains compris, la pollution, la santé, l'économie, etc. Nos sols sont quasi morts. Nous ne savons plus produire sans des apports colossaux d'intrants chimiques qui dépendent à la fois de la disponibilité du pétrole et d'extractions minières qui s'appauvrissent à vitesse grand V. Un défi à relever est de réussir à régénérer ces sols, la Vie qu’ils portent et de tenter de produire de façon soutenable de quoi nous nourrir.

Cette préoccupation autour du sol, ne va pas sans aller avec celle pour l’eau douce, sans qui aucune Vie n’est possible. La ressource en eau va, elle aussi, être perturbée et instable (elle l’est déjà mais l’eau coule encore à nos robinets) au regard des bouleversements climatiques que nous ne sommes plus en capacité, ni de prédire, ni de freiner.


Évidemment, si nos capacités à nous nourrir sont en jeu, elles auront un impact sur nos voisins donc sur l’organisation de nos territoires. C’est pour cela qu’il me paraît indispensable de commencer à travailler aujourd’hui au plus près de ceux qui nous entourent. D’apprendre à les connaître, connaître leurs besoins, leurs attentes. Pas pour se positionner comme ceux qui savent et qui vont combler les besoins de toustes, mais pour les comprendre, rester en lien, apprendre auprès d’eux, tisser les liens, en ressouder si nécessaire. Et essayer de participer à moins de scission entre les humains si c’est possible. Au moment où le terme d’adaptation prendra concrètement son sens, cela sera une richesse infinie.

Pas de foin sans les voisins !

La dimension globale, systémique. Sur ce point là, il va falloir déployer encore plus d’humilité que pour les dimensions précédentes. Nous ne sommes pas réellement en capacité de savoir, ni de comprendre, quels seront les impacts globaux de nos actions d’adaptations et de régénérations sur l’ensemble du système Terre. Ce n’est pas une raison de faire fie de cette question. Dans la mesure du possible, nous aurons besoin de nous poser la question des possibles conséquences de nos actes quand nous déciderons d’implémenter des actions dans le réel. Comme le dit Frédéric Bosqué du projet Tera, penser au Glocal (du global au local et du local au global)**. Serons-nous en capacité de ne pas impacter négativement notre milieu ? Saurons-nous déployer des modes de vie et des savoir-faire qui permettront une régénération globale ? Ce serait présomptueux de répondre oui à ces questions. Mais ne pas les perdre de vue semble essentiel pour les prises de décisions.


Voilà un début de tentative d'éclaircissement des intentions que je mets dans le projet des Chemins Résilients. A la modeste mesure de l’échelle de la ferme dans son contexte territorial, essayer de mettre en œuvre des expérimentations de pratiques différentes de celles que l’on connaît aujourd’hui, en restant bien conscients que nous ne pourrons pas traiter tous les sujets et que nous pouvons nous tromper. Qu’aucune des tentatives que nous entreprendrons ne devra oublier une des dimensions précités et que je souhaite que la permaculture, dans ses dimensions philosophique et pratique, puisse être un des guides pour concevoir ces expériences sans en faire une religion.

Si, en lisant ce texte, vous avez l’envie de soutenir d’une quelconque manière ce projet, si l’envie de le rejoindre vous gagne, si coconstruire un collectif vous motive, si vous voulez juste discuter avec moi, faites-le moi savoir !!!

Merci de m’avoir lue.

Un coucher de soleil à la ferme

* Source : Le corps social à l’origine de l’invention du mot « émotion » - Nicole Hochner

** Glocalisation : une stratégie pour changer le monde ici et là-bas - Podcast “Histoires d'une (R)évolution” Frédéric Bosqué

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