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Photo du rédacteurPauline Dreux-Palassy

Comment je suis devenue une Femme, malgré moi ….

Hein ? Tu n’es pas née femme ? Bin, en fait, je suis née de sexe féminin. Bien sur, ça me confère un certain nombre de caractéristiques particulières, mais je me rends compte aujourd’hui dans ma chaire, à quelle point être une Femme est une construction sociale et psychologique.


En fait, ce que je veux et que j’ai toujours voulu au fond de moi, c’est être une personne. Juste une personne, pas spécialement une femme. Je ne veux pas qu’on me projette dans tel ou tel type de rôle, de comportement, de compétences… à cause de mon genre. J’en ai marre que nous ne soyons pas capables de nous apprécier, approcher, découvrir sans poser des filtres de pré-requis, de bienséance, de normativité …, liés à notre genre.

Quand j’étais enfant, j’ai certainement été bombardée d’injonctions liée au genre “fille”. J’ai aussi vu ma mère, qui m’élevait seule après la fuite de mon géniteur dès l’annonce de sa grossesse (je ne veux pas être père), être complètement anéantie par l’attente du bon vouloir de l’homme qu’elle aimait (autre que mon géniteur). Cette femme forte, qui réussissait tout ce qu’elle entreprenait de façon autonome, qui était précurseure dans le milieu de l’art, qui occupait une place importante aux Beaux-arts auprès des autres prof et des élèves, était dépendante d’un affreux jojo qui se jouait d’elle. Il me parlait comme à une merde aussi, en passant. Lui faisait perdre confiance en elle. Il abusait aussi de sa gentillesse, y compris financièrement. A 11 ans, je lui ai dit : maman ce mec abuse de toi, tu dois arrêter ça. Elle a mis du temps mais elle a arrêté. Cette décision nous a valu quelques déconvenues : il a dessiné une croix gammée sur la façade de notre maison, jeté des pots de peintures sur nos portes et prenait un malin plaisir à boucher les serrures de la porte d’entrée (qui donnait sur la rue) lorsque ma mère sortait et me laissait seule chez nous pour passer d’agréables moments avec ses amis. Il a fini par arrêter après quelques plaintes au commissariat. Jamais je n’ai pensé que ce type de comportement était lié au fait que ma mère était une Femme. Je pensais naïvement que c’était juste un connard. Ces expériences ne m’ont jamais fait prendre conscience qu’un Homme pouvait s’arroger le droit de persécuter une Femme, juste comme ça, en toute impunité et de manière totalement gratuite. Juste pour montrer que le pouvoir était de son côté. Je croyais que nous n’étions que des personnes - neutres.



Ado, c’était l’époque de Culture Club avec un Boy George totalement androgyne auquel je m’identifiait énormément. Je ne me sentais pas fille, ni Femme. J’avais même une forte propension à prendre les contre pieds et à brouiller les cartes. Je ne voulais pas être dans les clichés de la nian-nian qui dépend des mecs pour exister ou de la nana hyper sophistiquée qui joue le rôle de la confiture, les mecs lui collant aux basques comme des abeilles. Tout ça me dégoûtait … et aujourd’hui, je crois surtout que je ne me sentais pas à la hauteur des injonctions attendues pour faire partie du groupe “Femmes”. Peu à peu j’ai été bourrée de complexes, physiques en particulier. Tout ça ne m’a pas empêchée d’avoir des relations amoureuses avec le genre masculin. Certaines relations ont été plutôt agréables même. Mais j’y mettais fin parce qu’ils étaient “trop gentils”, je m'ennuyais. Et puis, je me suis amourachée de “Bad boys”. Ceux qui ne font pas attention à vous, vous violentent, vous dénigrent ou vous empêchent d’être vous. Ceux qui exercent un pouvoir de domination sur vous. Finalement, j’avais bien été conditionnée par le dressage insidieux que notre société impose aux Femmes. Je m’en rend compte maintenant.


Jeune adulte, j’étais malgré tout rebelle. Rebelle face au rôle que l’on attendait de moi et malheureuse en amour. Impossible de me sentir bien dans une relation hétéro. J’étais contre le mariage, je pensais ne jamais pouvoir avoir d’enfant (comme si ça m'était interdit, j’en étais persuadée !!). Je me débattais avec les gars qui voulaient que je sois autrement que comme j’étais, ou bien j’étais triste dans des relations à sens unique. Et puis, j’ai croisé ce garçon, qui avait une belle aura, qui semblait timide aussi, un peu triste et avait besoin d’être “sauvé”. Un peu Bad boy et mélancolique qui prône le couple pour toujours et la stabilité. Celui dont je vais pouvoir m’occuper pour enfin exister ! Amour toujours, avec un beau mec en plus ! Le piège à filles !!! Bin, je suis tombée dedans ! Ce que je peux dire c’est que cette relation m’a retourné le cerveau. J’ai fini par croire, à force de persuasion de sa part, que j’avais envie d’une vie de famille avec des enfants, la p’tite maison, le chien, etc. Mais la prise de pouvoir a été là dès le début ! Comme nous nous sommes installés ensemble très très vite (relation fusionnelle incontournable dans ces cas-là), j’ai très rapidement eu droit à des accès de violence quand je me plaignais de la part qu’il ne prenait pas dans les tâches quotidiennes. J’ai eu droit aux scènes alors que je souhaitais aller voir mon meilleur ami de passage pour un concert en ville. Donc j’y allais pas … (Résiste !!! Bin, non…) J’ai petit à petit coupé les ponts d’avec mes cercles d’amis “parce que tu n’es pas mère Térésa, tu leur accordes trop d’attention, ils profitent de toi”. Il a même tenté de mettre en péril la relation que j’avais avec ma mère. Il a presque réussi, en plus !

Mais je suis restée avec lui, persuadée que je ne pouvais pas connaître mieux. Il m’a fait arrêter la pilule parce que “fumer et prendre la pilule, c’est pas bon pour ta santé. Je sais comment faire pour que tu ne tombes pas enceinte. T’inquiète, je gère !”. Et bien sûr, je suis tombée très vite enceinte (ha bin si, en fait ça marche chez moi !), l’année de mon DEA. Résultat : j’oublie la possibilité de faire une thèse. Lui en commencera une, puis deux, puis…pour ne jamais les terminer car ses directeurs de thèse étaient tous des cons qui comprenaient rien à son travail. Et voilà la petite vie de famille qui a commencé. Presque 10 ans après, 2 enfants, une maison à la campagne (pas de chien ;-)), loin de tout, complètement enfermés dans notre noyau familial à 4, je me suis réveillée. Je ne savais plus prendre soin de moi. J’étais humiliée quotidiennement. Et il était très désagréable avec nos enfants en plus. Enfants qui avaient clairement peur de lui. J’ai pris mes clics, mes clacs et mes loulous sous le bras, et je suis partie. La première semaine, j’ai tellement bien dormi !! Je me sentais sereine, en sécurité. Et mon fils a trouvé un appétit qu’il n’avait jamais eu depuis sa naissance (et qu’il n’a plus jamais perdu depuis !!).


Et bien, vous savez pas ? Jamais je me suis dis que tout ce qu’il s’était passé dans cette relation complètement déséquilibrée avait un quelconque lien avec mon genreJe croyais que nous n’étions que des personnes - neutres. Ce n’est que 10 ans plus tard que j’ai réalisé qu’il y avait l’exercice anormal d’un pouvoir de sa part sur moi. Après que monsieur ait tenté de m'étrangler devant ma fille car j’avais osé lui demander de ne pas ramener les enfants aussi tard le dimanche pour qu’ils puissent reprendre leurs marques avant le lundi et l’école. Bon, ça c’était le point culminant des relations difficiles de parents que nous avions eu depuis leur naissance, je vous passe les détails … Et bin, non, toujours pas ! Même après ça, je n’ai pas réalisé que la question du genre était au centre de cette situation de merde !!! Il m’a fallu encore 5 années supplémentaires, #metoo, le podcast “Les couilles sur la table” puis “Le cœur sur la table” et plein d’autres ressources sur la question sociale du genre pour réaliser que tout ça avait été possible parce que j’étais une Femme et qu’il était un Homme. Incroyable !!!


Aujourd’hui je suis de plus en plus lucide sur ces rapports de pouvoir entre les genres. Je les repère de mieux en mieux. Mais je n’en suis pas libérée pour autant. Je me prends encore les pieds dans les tapis de Bad boys… Je ne sais plus comment relationner sans que l’on cherche à me dominer. Et bien sûr, je tombe sur … des dominants. Qui ne savent pas exprimer leurs émotions, qui tout en croyant vous soutenir mettent en place des actions qui risque de vous rendre dépendante, qui vous dévalorisent sans conscience, qui ne sont pas capables de prendre de vos nouvelles tout en vous reprochant de ne pas bien en prendre des leurs…qui trouvent que, quand vous exprimez vos besoins et émotions, “vous pensez quand même beaucoup à vous” ou croient que partager ça, “c’est limite du harcèlement”… Qui vous caressent le ventre (pas plat) en vous disant “humm… 2 enfants, hein !” avec un petit sourire moqueur en coin, ou qui comparent votre cul à une croupe de cheval…et j’en passe … un tas de traumatismes psychiques et physiques qui s’accumulent


Je suis fatiguée et triste de ce constat. Je suis quasiment prête à jeter l’éponge. Parce que, même si j’arrive à grand effort de déconstruction à m’émanciper des injonctions faites pour être “Femme”, si les hommes n’ont pas ces prises de conscience aussi et ne font pas un bout de chemin pour réinventer les rapports femmes-hommes et les relations amoureuses, bin seules, on n'ira nulle part… Et me voilà encore enfermée malgré moi dans les présupposés de ce qu’est “être une Femme” - c’est à dire quoi être pour être aimable. Parce que tout ça ne dépend pas que de moi mais de nous tous ! Et pourtant, j'aimerais que nous soyons juste des personnes - neutres.


Et quel rapport avec la résilience me direz-vous ? Et bien, je fais partie des personnes qui pensent qu’aucune résilience ne peut être juste ni efficiente si des inégalités persistent (voir s’aggravent). Les inégalités Femmes-Hommes sont universelles ou quasi. Et les rapports de dominations, les humains les exercent aussi sur le monde du vivant et sur nos écosystèmes. Lutter contre les rapports de domination Hommes-Femmes nous aidera aussi à lutter contre les réflexes de domination de façon générale. Alors, nous avons du boulot pour faire évoluer tout ça !!

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